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Fonds de Tiroirs et petits carnets
3 mai 2009

heureux qui comme un journaliste : grand reporter

Décidement mes cheveux font parler :

" tu ressembles à Alain Prost" m'a fait remarquer Frau Nath.

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J'aime les vrais gens. En même temps ils me font peur.

Faut dire que j'ai pas trop l'habitude. Dans ce métier, je n'ai finalement pas trop l'occasion d'en croiser.

Ces jours ci, je me suis lancé dans une série d'interviews pour la radio. Un quartier de Groscouillon-sur-saone en pleine rénovation : des tours HLM que l'on fait sauter, des arbres que l'on plante, des habitants qu'il faut reloger.

Depuis mon petit bureau, j'ai donc passé une serie de coups de fil. Pour mes reportages, j'ai donc pris rdv avec des architectes, des élus, des travailleurs sociaux. Je suis aussi allé voir les artificiers pour parler dynamite. Je commençais à accumuler une sacrée matière première.

Mais en débutant le montage de mes interviews, je me suis dit qu'il me manquait quelque chose. Le puzzle n'était pas complet. Pourtant, j'etais allé voir tous les responsables, les experts, les financeurs. J'ai posé des questions à la Droite, à la Gauche. Je suis même allé voir les Verts. Mais en réecoutant le tout, il était evident qu'un son de cloche manquait.

Pour découvrir ce que j'avais oublié, je suis allé faire un tour dans le quartier en question : Une banlieue classique, sage. Au pied des immeubles fatigués un petit square. Une 20aine de metre carrés, un toboggan et deux tape-culs fluos. Les gamins jouent à Spiderman. A quelques metres les meres papotent en berçant des poussettes vides. Coup d'oeil circulaire, je passe en mode journaliste. Je cherche le reportage qui me manque :

Les ouvriers qui travaillent sur les futures démolitions : déja fait. L'expert paysagiste qui a réussi à vendre son projet à la Mairie : déja interrogé. Plus loin, un élu en charge " des quartiers" inaugure l'expo photo des CM2 de l'école Jean Jaures. Lui aussi est déja passé à mon micro

Plaf ! Mes lunettes valdinguent ! Je viens de recevoir en pleine tronche un ballon plastique aux couleurs de Bob l'Eponge. Sur le toboggan deux gamins sont morts de rire. " Oh excusez moi Monsieur ! Ils sont vraiment dissipés avec ce temps. Vous n'avez rien ?". La maman a laché sa poussette, elle est déja à mes pieds en train de ramasser mes lunettes. Elle les essuie du coin de sa veste. La dame est voilée, vraiment embetée. Elle me propose de m'offrir un café chez elle pour s'excuser. Je recupere mes lunettes, elles n'ont rien. Les verres sont même plus propres qu'il y a une minute. Poliment, je décline l'invitation. Il n'y a vraiment rien de dramatique. J'ai pris un ballon en plastique sur le pif, pas de quoi faire un sujet " émeutes urbaines".

Par contre, ça y est, j'ai trouvé le thème qu'il me manquait pour boucler ma série de reportage : Les gens !

J'ai travaillé sur la réhabilitation d'un quartier populaire, la démolition de 3 tours, le lifting complet d'une cité... Et tout cela sans JAMAIS allé interroger le habitants ! Je me suis conduit comme le plus mauvais des journalistes, à mille lieux des préoccupations réelles. C'est plus qu'une faute professionnelle, c'est un reel manque d'humanité. Au lieu de promener mon magnéto au pied de ces tours, je me suis assis dans des bureaux bien chauffés du centre ville pour interroger des types en costume cravate. On était à l'aise, nous parlions d'immeubles HLM où nous n'avons jamais foutu les pieds...

Souvent, je lis des bouquins accusant ma profession de " Parisianisme". Et là, j'ai fait encore pire : A 500km de la capitale, j'ai inventé le " centre-villisme".

Il fallait donc que j'aille poser des questions aux habitants. J'ai horreur des micros-trottoirs. Mais là, ce n'est pas de ça qu'il s'agit. Ces gens vivent depuis des années dans des HLM qui sentent la pisse. quelqu'un s'en est finalement rendu compte. Alors, on leur a demandé de demenager, on leur a montré des maquettes, on leur a dit " si vous votez pour moi, alors chez vous ça sera comme ça !". Alors ils ont voté. Et ça y est, les pelleteuses sont là...

Les premiers concernés ce sont eux. Ce sont les habitants que je dois faire entendre à la radio. Cette actualité c'est avant tout la leur. J'ai donc cherché " un client". Quelqu'un qui soit au coeur de cette rénovation urbaine, qui la vive de l'intérieur. J'ai réussi à dénicher le numéro d'une mamie. Cela faisait 38 ans qu'elle vivait au numéro 1 de la rue Churchill. On lui a dit " votre immeuble est trop vieux, on va le démolir, va falloir demenager". Alors, elle a fait ses cartons. Maintenant, elle vit au numéro 3, la tour d'à coté, celle qui est aussi vieille, mais qu'on a pas les moyens de raser. Je lui ai donc laissé un message " Pourrions nous, nous rencontrer pour parler de tout ça ?"

Quelques jours plus tard, elle me rappelle à la radio : " Monsieur Benoit ?". Nous fixons un rdv : " A quelle heure puis je venir chez vous ?". " Oh quand vous voulez, vous savez moi je suis à la retraite, j'al temps". Nous avons donc decidé de nous voir jeudi à 9h.

Je recharge mon magnéto, je fais un peu de place sur la carte mémoire. Bizarrement, j'ai le trac. Je n'ai pas l'habitude d'interroger des vrais gens. En face de mon micro ce sont souvent des spécialistes : Des gens que je vais voir, car ils connaissent bien leur dossier et savent en parler. C'est géneralement la routine. Tout le monde sait ce qu'il a à faire. Le politique recite sa partition, prend soin au passage de tacler son opposition. L'expert déroule ses chiffres. Le président d'association, lui, presente les détails de son action. C'est pratique, ceux là ont l'habitude de répondre à la Presse et savent ce que j'attends d'eux. Le montage est rapide, les questions toutes trouvées. C'est ce qu'on appelle des " bons clients".

Avec les " vrais gens", ça ne se passe pas pareil. Il faut des preliminaires : Leur expliquer ce que l'on veut, les rassurer. Le micro fait peur. Il faut papoter avant de l'allumer. On parle de la pluie et du beau temps pour une installer une complicité. Il faut etre humain avant d'etre journaliste pour obtenir un bon témoignage. et je dois avouer que ça, je ne sais pas trop faire. Les gens me font peur. Je n'ai rien à leur dire quand le magnéto ne tourne pas.

Jeudi à 8h55, je sonne à l'interphone de madame Machin. Deuxième étage gauche. Je frappe. On tourne 3 verrous, la porte s'ouvre : " Bonjour, je suis le journaliste de la radio", " Mais, monsieur Benoit, vous etes là de bonne heure !", " Bah il est 9h !", " Mais on avait dit 9h30 !"

Je suis en avance, elle n'est pas encore habillée. Madame Machin passe un peignoire par dessus son pyjama. On s'installe dans le séjour. Par la fenetre on voit l'autre tour, celle où elle vivait avant, celle dont elle a du démenager. Les ouvriers chargé de la pré-démolition font un boucan d'enfer. je suis invité à m'assoir. Derrière elle, un cadre photo a été bricolé. Des photos d'acteurs américains découpés dans un programme télé sont entourés de coeur coloriés au feutre. Les stars d'une série que je ne regarde pas.

Elle me propose un café. je suis levé depuis 5h30, à la radio j'ai déja vidé une demi-douzaine de tasses, mais je n'ose pas refuser. La tasse aterrit devant moi sur la toile cirée. Je lui explique ce que j'attends d'elle : je fais une série sur son quartier, lundi elle sera mon " invitée de la rédaction", l'interview dure 7 minutes, il ne faut pas faire attention au micro, ceci est juste une conversation.

Elle lève un sourcil inquiet : " je ne vais pas avoir d'ennuis avec la Mairie au moins ?". Je la rassure : elle ne dira que ce qu'elle voudra. Je mens un peu aussi " Ils sont au courant, que je suis là, c'est eux qui m'ont donné vos coordonnées". Madame Machin est dans l'annuaire...

On commence l'interview, elle me raconte son quartier qu'elle aime, l'immeuble pourri qu'elle a du quitter avec " un gros pincement au coeur" malgré son état de délabrement. D'ailleurs, le mois prochain elle sera collée aux barrières avec ses amies pour voir son ancienne maison tomber. Elle raconte sa rue où l " on est bien", mais où il y a tout de même " trop d'enfants qui font du bruit". C'est parfois grammaticalement discutable, mais ça sonne vrai. Les hésitations, les exclamations sont là. C'est un bon témoignage, je suis content.

Les 7 minutes sont enregistrées, j'aimerais partir. Mais, quand de vrais gens acceptent de vous recevoir chez eux, ça ne se fait pas, c'est comme prendre congé avant 22h dans un diner chez des amis. Je joue donc les prolongations. Comme à chaque fois, ça ne loupe pas , elle me dit des choses plus percutantes une fois que le micro est fermé. C'est la frustration la plus fréquente des journalistes radio.

Elle me tend un bloc note, je lui écrit le jour et l'heure de la diffusion. Elle me demande si elle capte la fréquence à Groscouillon-sur-Saone. Je lui assure que , oui, nous sommes une radio de Groscouillon. Madame Machin a peur de ne pas trouver RCF sur son petit poste. Elle court alors à la cuisine et revient transistor en main. Une antiquité, le cadran indique encore Radio Luxembourg et Radio Monte Carlo. Et je me retrouve penché sur le poste pour que l'on entende RCF. Mais, j'ai beau naviguer de droite à gauche, les Radios Chretiennes Francophones sont introuvables. Madame Machin est embetée, elle aurait bien aimé s'ecouter lundi matin.

Mais à ce moment là, j'ai l'intuition qui nous sauve : " Ah ! Mais vous êtes en grandes ondes !". Oui, oui ça existe encore; à Groscouillon c'est même le seul moyen d'entendre les Grosses Têtes de Philippe Bouvard. Je renouvelle donc la manoeuvre sur la FM. L'affichage n'est pas tres précis, je tends l'oreille pour reconnaitre les programmes de mon employeur. A un moment, j'entends enfin " ... Et dans ce monastère perdu les Chrétiens d'Irak..." Ah voila, ça c'est RCF ! Le visage de madame Machin s'illumine : " C'est vous là en direct ?". Non, ce n'est pas moi, puisqu'en ce moment je suis ici.

Je prends congé. " Si vous avez besoin d'autre chose, n'hesitez pas à me telephoner, de toutes façon je suis à la retraite". Je repars pour la radio gonflé par cette fierté idiote " Je suis allé interviewer des vrais gens, dans un tour HLM". J'ai l'impression d'être Albert Londres. Je saute sur mon téléphone pour avertir ma mère de mon nouveau statut de grand reporter. Dans mon repertoire, juste avant " Maman" il y a " Marion". Journaliste indépendante, ma copine Marion a travaillé en Iran, en Syrie, en Jordanie. Elle est partie au Kosovo, s'est glissée dans les tunnels de Gaza. Aujourd'hui elle bosse en Egypte.

...

Et dire que moi, quand je sors du centre ville, j'ai l'impression d'etre un héros...

Putain, j'aime pas relativiser. On se sent merdeux apres...

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Commentaires
F
Morgan: la remarque sur alain prost était en réponse à un "tu casses pas des briques" lancé par Benoit...
F
Morgan: la remarque sur alain prost était en réponse à un "tu casses pas des briques" lancé par Benoit...
M
Le truc bien dans la relativité c'est que TOUT est relatif. Il n'y a qu'à relativiser avec autre chose. Regarde JP pernaud.
D
tu as évité l'autre piège du centre-villiste, je le sentais venir, le pseudo micor trottoir qui ne prend pas son temps, celui qui pose des questions par oui, ou non, ou "tiens j'vais dire une grosse connerie, puisqu'on me demande un avis". 7 minutes, c'est la classe, déjà, non?
M
Ah bon, les vrais gens ça te fait peur?<br /> <br /> Ah bon, tu n'avais pas interviewé d'habitants du quartier? <br /> <br /> Soit tu es doué pour faire deviner, soit je suis particulièrement perspicace (on partira donc sur la 1ère) mais je me disais que c'était les habitants du quartier que tu avais été voir en premier ou presque, et ayant compris au début de ton texte que ça n'était pas le cas, je m'étonnais presque de cet oubli. Je sais pas pourquoi, mais quand monsieur Benoit fait une interview, je ne le sens pas déconnecté des vrais gens, peut-être un peu des bons chrétiens de la paroisse, mais ça c'est quand le magnéto est éteint et que le naturel reprend le dessus. <br /> <br /> Quoi qu'il en soit, c'est touchant, cette entrevue avec madame machin. Le coup des photos découpées dans Télé 7 Jours, c'est presque cliché, non? Si ce n'est pas l'oeuvre des petits enfants, ça ferait presque penser au mieux à du Chatiliez, dans le genre mamie touchante, ou au pire à du Pernaut, dans le genre mamie touchante, encore. <br /> <br /> Bref, je sens que les vrais gens vont pas tarder à avoir une tribune régulière sur ton antenne, expies ton centre villisme, monsieur Benoit, et petit à petit tu iras peut-être même à la campagne, les auditeurs qui ne la connaissent que par les reportages de Pernaut seraient contents d'avoir un regard neuf. Plus jeune, peut-être. <br /> <br /> Et rencontrer le sosie d'Alain Prost, ça les intéressera sûrement. Cela dit, elle est un peu dure avec toi, Frau Nath. Alain Prost, quand même! <br /> <br /> Je terminerai avec le plus mauvais pastiche de paroles insipides à la Bénabar, par Bénabar lui même, à la limite du parisianisme extrême, et donc du centre villisme : <br /> <br /> A la campagne<br /> Y a toujours un truc à faire<br /> Aller aux champignons<br /> Couper du bois, prendre l'air<br /> A la campagne<br /> On se fout des horaires<br /> Comme les maisons du même nom<br /> C'est secondaire<br /> <br /> A la campagne<br /> Y a toujours un truc à voir<br /> Des sangliers, des hérissons<br /> Des vieux sur des tracteurs<br /> A la campagne<br /> Y a des lieux pleins d'Histoire<br /> Des châteaux tout cassés<br /> Et des arbres centenaires<br /> <br /> Dis moi que ça passe pas chez toi, ça... <br /> <br /> m.
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