Heureux qui comme un journaliste radio (2)
Rolling Stones
Mille excuses, la phrase du jour n'est pas toute fraiche, en plus elle est citée de mémoire. En fait il y a meme deux phrases du jour. La première est l'oeuvre de mon-père-ce-héros, elle date de 3 semaines " Vous les journalistes vous ne produisez rien, vous faites votre beurre sur le travail des autres, vous n'apportez rien à l'economie, bref vous etes des parasites"
La seconde est encore plus ancienne. Cécile me disait il y a 3 ans " Je ne pourrai pas faire ton métier. Travailler dans le présent, ne rien prévoir à long terme, bosser pour une poignée de secondes et recommencer le lendemain"
Ils ont tous les deux raisons.
Je n'ai aucune valeur ajoutée Papa. Pire, les journalistes sont peut etre la seule corporation à se retrouver submergée de travail en ces temps de crise financière. Pas besoin d'une bonne guerre, une petite crise economique suffit à leur donner des 100aine d'idées de sujets.
Cécile etait encore plus dans le vrai. La vision a long terme d'un journaliste radio est inexistante. C'est un peu le principe de l'info : ce qui s'est passé hier est déja presque perimé. Ce qui se passe en ce moment est presque déja du passé. L'avenir est interessant mais pas à plus de 24h, au dela c'est déja de la Science Fiction.
Chaque jour, je suis payé pour constuire un chateau de carte. J'empile doucement mes pièces pendant quelques heures. Mes cartes à moi ce sont des informations, du produit frais. Comme à Rungis on se lève tres tot pour proposer le premier choix au clients.
à 8h00 le chateau est terminé, le poisson est sur les étals ( Oui, c'est une double métaphore, choisissez celle qui vous parle le plus). A 8h je presente mon journal du matin. J'ai 11 minutes pour crier qu' " Il est frais mon poisson !", qu'" Il est beau mon chateau de cartes !". Pas une seconde de plus.
A 8h 11 minutes 1 seconde, le chateau est déja branlant, le poisson un peu moins frais.
Bon bien sur, j'ai quelques trucs de conservation. En magouillant un peu, je peux resservir le tout pour l'edition de 12h. Mais comme une Cendrillon en décalage horaire, à 12 et 15 minutes le charme se rompt definitivement. Le chateau s'ecroule, le poisson sent la mort.
L'information est déja perimée, bonne à jeter. Il faut tout recommencer. Demain pour 8h il faudra servir de snouvelles fraiches. L'actualité en radio a une durée de vie de 12h grand maximum. Des que les mots sont sortis de ma bouche, ils n'existent plus. La seule trace est sur la feuille devant moi, sur le disque dur de mon ordinateur. Le monde exterieur n'y a déja plus acces.
Oui, la radio est un médium frustrant.
En Presse écrite vos mots durent plus longtemps. Le poisson peut etre congelé. Il reste même frais 24h. Ensuite on pourra le conserver, l'archiver, le relire dans 50 ans dans de gros classeurs reliés. Ces mots là ont une plus belle carrière que les miens.
Mais je prefere la radio. Moi au moins je sais que mes mots ne serviront pas à éplucher des pommes de terre sur une table de cuisine. Personne n'allume de barbecue avec les mots que j'ecris.
Alors chaque matin, comme tous les journalistes radio du monde, je me lève et je me livre à ce supplice de Sisyphe.
Il y a meme des jours où j'y prends du plaisir...
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