Le bruit et l'odeur
" La vie c'est comme les Pyrenées, il y a des hauts et des bas" me disait mon voisin, le vendeur de Kebab.
Aujourd'hui on s'interesse donc à un bas. Evoquons une histoire douloureuse de journalisme ordinaire.
La visite de la Fanfare
Je suivais mardi une visite officielle du prefet.
Une belle opération de communication. Le représentant de l’état avait décidé d’aller à la rencontre des centres d’accueils pour sans abris du département. je vous décris la scène : imaginez un petit foyer dans une ville de province. Une 20aine de chambres tout au plus. Une poignée de travailleurs sociaux et de bénévoles pour faire vivre le lieu.
Les couloirs sont exigus. La peinture un peu défraîchie.
Et là débarquent une dizaine de personnes. Il y a le préfet bien sur. son équipe. Les officiels de la ville et de l’agglomération ont aussi fait le déplacement.
L’opération est avant tout médiatique. Nous les journalistes ne sommes pas tres nombreux. Mais nous suffisons à justifier la visite.
Tout ce petit monde est à l’étroit. On salue vaguement les résidents avant de les laisser à l’écart." Vous etes bien ici hein ?" " elle s'occupe bien de vous la Dame" " on est mieux ici que dehors non ?"
Dans coin de la pièce, l’un des sans abris regarde le Journal Télévisé sur une grande télé à écran plat. Ce soir David Pujadas parle des banques et de Crise financière. Pour ne pas déranger le SDF a coupé le son du téléviseur. Les visiteurs lui tournent le dos.
Derrière on parle de lui comme s’il n’existait pas. « Vous savez ils sont parfois violents, ils cachent de l’alcool et ne sont pas toujours tres propres » commente une bénévole. " Des fois ils confondent les douches avec les WC"
Face à la télé, le résident lève un sourcil surpris.
La réunion se termine. Le préfet approche du téléviseur pour serrer la main de celui que l’on avait oublié. Les flash crépitent. Ce sera la photo de couverture du journal local du lendemain.
Gêné, je m'approche du monsieur. Il m'aurait semblait absurde de consacrer un sujet aux SDF sans en faire parler un seul. L’homme accepte de me répondre si je garde son nom secret. Il coupe la télé, les résultats du football ne l’intéressent pas.
A mon micro, il parle de sa honte de vivre ici, de sa dernière tentative de suicide, de ses enfants qu’ils ne voient pas. Mes questions sont maladroites, je ne sais pas parler avec les vrais gens. Sa voix tremble, je ne sais pas le reconforter.
Les officiels n'entendront pas sa souffrance, ils sont déja partis. Dans la Velsatis du prefet, le chauffeur a enclenché le chauffage. L'autoradio est peut branché sur Rires et Chansons, plus vraisemblablement sur France Info.
En Sortant du foyer, un confrère de la presse écrire me glisse " T'as vu comme ça pue là dedans ?". Je suis choqué par son commentaire. Mais pourtant il a raison. L'odeur est vraiment forte, l'haleine du monsieur qui regarde la télé chargée d'alcool. Je ne me sens pas à ma place, inutile. Là dedans j'avais l'impression d'être un intrus. Mon micro pourrait servir à qqch, je n'ai pas l'impression de l'avoir utilisé comme il fallait.
Je rentre à la radio un peu chamboulé. Nauséeux. Je n'aime pas ce que j'ai vu, ce que j'ai entendu et aussi ce que j'ai pensé malgré moi. Il fallait que je raconte tout ça à quelqu'un. Mais en arrivant dans l’immeuble qui héberge nos studios, je suis pris à partie dans une discussion engagée avant mon arrivée.
Il parait que des squatteurs ont investis nos locaux. Il parait aussi qu'ils ont été chassés il y a quelques minutes. Je sais bien que l'on ne peut pas accueillir n'importe qui, n'importe où. Mais je me souviens aussi que la maison appartient à l'Eglise et que plusieurs chambres pour étudiants sont libres.
Une phrase est lâchée « Ils sont comme des animaux quand ils sont entre eux ». C'est un bon Chrétien qui vient de parler. Un autre lui répond " Ils ont deux bras non ? Peuvent pas bosser comme tout le monde ceux là ? ". Celui là est medecin. Un de mes collègues enchaine " Je me disais bien que les toilettes etaient crades depuis quelques jours".
Je ne réponds pas, je ne proteste pas. Je prefere partir en cabine de montage. Je transferts les sons enregistrés dans la soirée sur mon ordinateur. SDF, travailleurs sociaux, bénevoles du 115. Ce reportage il va falloir le soigner. Dehors il y a du boulot.
Vraiment.